Proverbes mongols

Depuis la frontière Sino-Mongole de Bulgan jusqu'à Ulaanbaatar, Mongolie // août 2018

"La liberté est dans la steppe, le bonheur est dans la steppe" 
Voilà comment ce proverbe résume merveilleusement nos premières minutes au delà de la frontière avec la Chine. Alors que nous avions fini par accepter la pression policière du Xinjiang pour ne plus ressentir frontalement notre manque de liberté dans le voyage itinérant, en franchissant le portail grinçant côté mongol nous éprouvons une sensation étrange, presque vicérale et unique depuis le début du voyage. Un paysage immense tout entier, nu, rude et sauvage, une route s'élançant vers l'infini. À nos premiers coup de pédales, nous sommes émus de Liberté. Si le Xinjiang était spécialiste en barbelés (parfois 12 lignes sur une hauteur 1m50), le mot ici n'existe pas. Nous nous engouffrons, plein d'insouciance dans le désert de désert puisque Gobi en mongol signifie désert. 
Bulgan, petite bourgade nous donne le ton des "villes" mongoles autre que Ulaanbataar sa capitale. Nous traversons nos premiers "quartiers" de yourtes (ger en mongol), entourées de palissade de bois et aglutinées autour de quelques restes de bâtiments publics type soviétiques. Très vite, nous sommes surpris par l'haleine d'individus masculins en prise à une boisson également de type soviétique... Ce qui nous semble ici un véritable fléau, et on avait pourtant été prévenu, sera heureusement un peu moins vrai en se rapprochant de la capitale.

Ville mongole

Gobi à la frontière chinoise

"Qui boit l'eau d'une terre étrangère, doit suivre ses coutumes"
L'eau justement, c'est un peu le nerf de la guerre dans le Gobi...  Comme ce premier soir de camping où nous avions repéré sur la carte une jolie rivière. La journée avait été bien chaude, l'absence d'ombre nous ayant poussé dans nos retranchements, nous voilà bien déconfis devant la grosse rivière totalement sèche. Alors qu'il y a un gros village 20 km en amont sur le lit de la rivière, nous pensions à juste titre qu'il y aurait de l'eau. Heureusement il y a une ger (yourte pour ceux qui suivent) pas très loin. Ragillardi par la présence d'un chauffeur routier qui rentre sans frapper, nous faisons de même. Sovna est en train de faire bouillir son lait frais de la traite et nous sert une bolée de thé au lait, salé ! Nous avions habitués nos papilles au Népal, on boit sans grimacer. On aime l'accueil des Mongols, sans fanfare mais simple et nécessaire ! Il faut dire que dans la steppe, il y a une nette différence entre qui a un toit et qui n'en pas, alors solidaires, les Mongols ouvrent leur porte. On ne frappe donc jamais pour entrer dans une yourte, et on nous servira toujours du thé au lait avec un genre de beignet rassi. Des autres coutumes mongoles que nous nous approprions : sans réchaud et sans bois, nous cuisinons à la bouse séchée (vache, chameau, cheval, tout fonctionne) et nous mangeons du mouton sous toutes les formes et un peu trop souvent ; nous oublions les douches et profitons de l'étendue de la steppe sans pudeur pour nous soulager!

Pic nic à l'ombre

Pausette à l''ombre


La cuisine de Sovna

Juste l'essentiel

Sovna et le lait frais de quelques minutes

"Tu as trouvé l'entrée, n'oublie pas la sortie." Nous ne nous éternisons pas chez Sovna, qui nous indique le prochain point  d'eau à 70 km : une vallée avec une rivière non asséchée ! Youpi ce soir c'est trempette. Nous nous lançons rassurés dans le désert semi-aride environnant. Heureusement le vent nous aide. Dans le Gobi, où il y a moins d'un habitant par km², nous nous sentons seuls mais pourtant bien dense : à nous 2, nous triplons la densité de population ! La rivière tant attendue nous aspire dans sa vallée verdissante que nous remontons tranquillement, les yourtes se multiplient tant que nous finissons par abondonner l'idée qu'au virage suivant on aura un coin tranquille. On observe les allées et venues du berger de 8 ans qui manie sa grosse moto avec dextérité pour passer la rivière juste à coté de la tente. On attendra que la nuit tombe pour se décrasser. Nous prenons de la hauteur pour passer un col à 2770m, sous la pluie! Ici la nature ne pardonne rien, on se souviendra donc de ce pic nic purée mousseline à l'eau tièdie, adossé à un mur d'enclos pour tenter de se protéger de la pluie fine mais franche, assis dans les crottes de biquettes. Charmant. Mais les paysages nous fascinent. Nous quittons rapidement l'asphalte made in China qui va uniquement de la mine à la Chine et nous élançons dans les autoroutes mongoles: des dizaines de traces de voiture dans l'herbe. Quand un chemin devient impraticable, pas de problème de place, on fait une nouvelle trace à côté ! L'arrivée sur le plateau de Tonkhil, soleil couchant, après la pluie, nous décroche un Waouh.

Des arbres!


Petits bergers en tenue tradtionnelle:bottes, deel, et casquette a l'Américaine


Autoroute mongole

Waouh

Petit gué

Nous campons à côté du torrent, car nous avons besoin de beaucoup d'eau pour la suite. En effet, alors que nous nous apprêtons à quitter le plateau, un berger saute sur sa moto pour venir nous barrer la route et écrit de son doigt dans le sable : 150km os niet - pas d'eau. On a passé 2h à filtrer 18 litres, ça devrait être bon pour 2 jours, mais faut pas avoir de pépins. On découvre ici un paysage des plus surprenants, un cirque, comme si c'était le cœur du Gobi: la réserve naturelle de Sharga. Beaucoup de caillasse, c'est sec comme du désert avec des buissons survivor. Un grand plan entouré de montagnes, s'inclinant doucement vers un lac. Soudain nous apercevons un animal non identifiable, puis 2 puis 3 puis plus! Ça court très très vite mais ça n'a pas l'air élancé comme une gazelle. Malgré les jumelles, cela restera un mystère. Puis ce sont chevaux et chameaux sauvages. On galère sur la piste qui est trop molle mais l'environnement d'animaux sauvages nous procure une sensation de Safari. Au delà d'une bosse on aperçoit un oasis d'un vert venant rompre la monotonie de l'ocre. Ça c'est le début et la partie cool, mais après une nuit aux étoiles filantes, la piste devient du sable ou de la tôle ondulée, plus d'animaux sauvages, le paysage s'applatit, l'horizon qui jamais ne s'approche, les réserves d'eau qui diminuent, la traversée d'un marécage presque sec puis d'un marécage boueux. Pour se repérer sur la piste qui disparaît, on suit les cadavres désolants de bouteilles de vodka, car même au milieu du désert, ça reste le déchet principal. Ça devient folklorique voire hyper galère. Pour couronner le tout, des nuées de moustiques voraces nous rendent la pause pic nic impossible ! D'ailleurs les Mongols diront "les moustiques n'ont pas pitié de l'homme maigre" ou de deux cyclos en déroute...


Réserve de sharga

Oasis au loin

Tôle ondulée et soleil de plomb

Étranges animaux du Gobi, on a certainement vu le 2ème en partant de la gauche

Hourra des yourtes ! Ce qui ne veut pas dire la fin de la piste en tôle ondulée et la caillasse à perte de vue, toute une journée avant de retrouver de l'asphalte. On ne l'attendait pas, on fait une petite danse de la joie et un concert de chansons françaises. Puis c'est pas tout mais on a rendez-vous dans la prochaine ville Altai avec nos copains cyclos Martin et Thibault rencontrés au Kirghizistan, qui devaient peut être nous revendre leurs chevaux. Et c'est suffisamment rare pour porter notre excitation au maximum. Les retrouvailles se font autour de bières et on a le fin mot de l'histoire des chevaux. Une belle galère de gérer ces bestiaux qui seront finalement volés probablement par de meilleurs cavaliers ! Tant pis pour l'aventure qui nous avait un peu fait rêver. On se dit que finalement on prendra surement l'option "avec guide", ce sera plus tranquille !

ASPHALTE

En ville, normal

Quand on rencontre Batma et Bairma qui maitrisent l'anglais !chose rare et appréciée. Elles nous inviteront a dîner.

Marchand de Ger. 350 euros!

À partir de la rencontre avec Martin et Thibault, nous avons hâte de découvrir les autres paysages de Mongolie, ceux qu'on a en tête quand on pense au pays du ciel bleu. Mais le Gobi ne nous a pas encore tout dit. Et sur la route qui relie Altaï à Bayanankor l'asphalte disparaît aussi subitement qu'elle était venue. Pas de concert de chanson française mais plutôt la soupe à la grimace. Dans une échoppe en bord de route : "par là, encore 10km de goudron puis 250 km d'une piste horrible, je reviens d'Ulaan bataar, et je me suis jure de plus jamais prendre cette route. L'autre route possible, c'est par là, une piste en bon état, mais la rivière est en cru, il n'y a pas de pont, vous ne pourrez pas traverser à gué, ou il faudrait payer un tracteur bien cher". Pas le choix donc, ce sera par la route horrible. Horrible dans le sens tole ondulée tout le long dans des collines. C'est dans cette traversée que l'on s'imprègne le plus des reliefs de la steppe mongole version Gobi. Des lignes courbes à perte de vue, qui s'animent seulement avec la lumière du soleil couchant. On avance mais l'horizon ne  s'approche jamais. Les collines sont vertes mais à y regarder de plus près l'herbe est éparse. C'est aussi la que nous ferons notre record de lenteur: 6km/h de moyenne sur une matinée. Une certaine monotonie s'installe. Et c'est sûrement la hâte de la briser qui nous embarque dans une autre aventure, mais celle-ci aura pour décor des paysages magnifiques : enfin la verte Mongolie avec ses pâturages, ses forêts et ses rivières limpides.

18000 km, Bouddha est le maître

Banière mongole légendaire du temps de Gengis Khan, en queue de Yack

Soirée yourte bien sympathique

Monotonie


Bergère a moto

Arrivée sur Bayanankor

À Bayanankor, plutôt que de suivre la route (goudronnée) qui file droit à Ulaanbaatar, on tente une percée vers le nord, direction Tsetserleg. La piste du GPS indique une trentaine de passage à gué, ce doit être un ruisseau qui a pris pour lit la route. Mais lorsqu'on voit la rivière ou le petit fleuve, on déchante un peu. Voyant des motos bien téméraires se lancer dans la traversée, nous faisons de même, mais on veut nos affaires sèches, une traversée d'un bras de rivière se transforme en 3 aller-retours chacun avec de l'eau jusqu'aux cuisses. Nous devons parcourir 100km de montée, passer un col à 2700 , et encore 100km de descente, le tout dans le lit d'une rivière, sur une piste faite de gros cailloux lisses parfois impossible à rouler, avec de la pluie au moment de camper ... Juste de quoi se demander si c'était une bonne idée. Nous établissons un nouveau record: 30 km à la journée, pour au moins 6h d'effort. On apprend à lire la rivière, cherche des traces pour savoir où traverser, fait des traversées de repérage. Un passage est plutôt périlleux, le test montre de l'eau jusqu'à l'entrejambe. On doit passer les sacoches une par une... Premier passage de sacoches, plouf! Je glisse et j'immerge la sacoche, sans la lâcher, sous le regard inquiet d'Alexis. On en aura testé l'imperméabilité ! On répète nos gestes de manutentionaires inlassablement. Heureusement, c'est très beau : les faces nord et ouest des cimes sont couvertes de pins, la vallée est large mais sinueuse, les yourtes par grappe de 3 ou 4 s'alternent de part et d'autre de la rivière qui laisse place tantôt à des prairies très vertes ou des champ de cailloux. Les nomades veillent discrètement sur les troupeaux de chevaux, d'ovins et de yacks qui se sentent chez eux. Sur notre route semée d'embûches nous ne comprenons que trop bien le dicton "la terre est dure, le ciel est loin".Et si "la distance qui relie la terre au ciel est celle de la pensée", celle qui relie Bayanankor à Tsetserleg est bien réelle et difficile à avaler.

Tenue de mariage, petite faute de style avec les sandales

Le premier d'une longue série

Motard optimiste





Van russe, le seul qui résiste aux pistes mongoles


Puis il y a ce moment de grâce, celui où le col n'est plus qu'à quelques coups de pédales. On a dépassé les dernières yourtes qui ne sont plus là pour longtemps, il y fait déjà bien froid. Puis un troupeau de yacks, puis le silence, un tout petit lac et 2 oies sauvages qui s'envolent. On imagine un instant le voyage de ces oiseaux migrateurs. La silhouette de l'ovoo ( lieu de culte mongol formé par un tas de pierres et de diverses offrandes : foulards, peau de loup, béquilles, vodka...) se dessine maintenant distinctement. On arrive au moment où une famille en pèlerinage tourne inlassablement autour de l'ovoo, avant de servir un verre d'Airak ( lait de jument fermenté) à la nature puis à nous. 
Nous entamons la descente finalement bien périlleuse. Avant de nous arrêter au beau milieu de cette magnifique vallée, encore plus verte et buccolique que la précédente, nous nous arrêtons à la première yourte pour demander du lait. C'est l'heure de la traite et nous aurons du lait...de yack! Le petit goût prononcé s'explique. Et c'est encore ces magnifiques bestiaux qui fileront la frousse à Alexis. Alors que je m'éloigne vers la rivière pour la vaisselle, le troupeau forme une ligne et fonce sur Alexis et la tente qui les intriguent tant. Arret massif du troupeau à quelques mètres. Puis à chaque dos tourné, ils se rapprochent encore plus. Alexis parvient à les maintenir à distance en secouant la tente. Je me marre devant la scène à mon retour de la rivière. Ceux ci finiront par vaquer à leur principale occupation, se remplir la panse.

Séchage en bonne compagnie

Semeno!

Mieux à pied


La descente est cruelle car on ne va pas plus vite qu'en montant, et on redoute toujours un peu les passages à gué qui nous attendent plus bas alors que la rivière ne fait que gonfler. Les pierres nous secouent, nos corps et nos vélos chargés. D'ailleurs cette satanée piste aura raisons de mon cadre ! Cassé net à la fixation du porte bagage. Heureusement on le fixe dans l'oeillet du garde boue et c'est réglé, mais celà ne nous rassure pas beaucoup. Et puis la piste devient juste géniale, une petite trace bien lisse dans une immense prairie. On croise même des ponts de bois immenses ! La vallée est paradisiaque, des gamins hauts comme 3 pommes lancent leurs chevaux au grand galop, et nous sommes trop heureux de chaque mètre gagné sur cette piste comfortable.



Après cet effort colossal nous échouons à Tsetserleg: hôtel, burger+brownies engloutis et mérités. La route pour la capitale sera beaucoup plus praticable, mais cette fois c'est le ciel qui menace. Mais la steppe est tellement immense, qu'un orage n'occupe pas tout le ciel. Nous le voyons, l'entendons et le sentons mais il n'est pas sur nous, nous sommes plus rapides... jusqu'à ce qu'il nous rattrape. Et alors dans ce monde de courbes horizontales nous nous sentons tout petit et totalement vulnérables. Nous n'avons plus qu'à courber l'échine, et accepter la grêle. Une yourte, enfin, accessible depuis la route. Nous sommes trempés mais décidons de nous abriter. On lance un "Semeno" assuré avant de rentrer. Un jeune berger roupille en deel et en bottes sur le lit mais ne se réveille absolument pas. Étranges minutes qui s'écoulent là, nous ne sommes pas trop à notre aise, et avons peur de l'effrayer ! L'orage s'éloigne, nous nous volatilisons, ne laissant que quelques flaques, témoins de notre passage.

Arc de triomphe

Les petits plaisirs de l'hôtel. Splendide!

La suite de cette histoire se passe à Ulaanbaatar puis à cheval au lac de Khovsgol, mais je m'arrête là car "Paroles nombreuses, vaches dispersées" !



Moines de Karakorum





Me voilà obligé d'avaler cette soupe de mouton...


Demain c'est la rentrée

Dunes bien gardées du mini gobi

19000km pause cacahouètes au minimarket


Commentaires

  1. Un grand BRAVO pour cette traversée encore épique en tous genres!...
    En tous cas, vous arrivez bientôt à votre ultime étape qui vous laissera et à nous également des
    SOUVENIRS INOUBLIABLES!.....
    Encore tous nos encouragements pour la fin de votre parcours
    Big bisous à vous deux.

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    1. Et oui ! De sacres souvenirs tout au long du parcours. Et nous voilà maintenant a Tokyo, notre destination finale.
      Bises a vous

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  2. Bonjour les amis, je viens de lire votre dernier récit...quelle aventure formidable.
    Bon courage pour la suite. Amitiés Alain

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    1. Merci de nous suivre toujours aussi assidu et passionné ;-)

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  3. Waaah!! Fantastique ! On suit régulièrement vos aventures et on se réjouit de vous savoir au Japon ! Vu d'ici, le plus court pour rentrer, ce sera de traverser le continent américain à vélo.

    Vous nous manquez...

    On vous embrasse !

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  4. Flippant tout cet espace.
    Les traversées à gué ça a du te rappeler Mada Alexis :)

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    1. Ouais on se sent bien petit au milieu de ces espaces sans fin !
      Y'avait des petits airs de Mada mais c'était moins confort qu'avec Andy ;-)

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  5. Je découvre avec bien du retard votre traversée impressionnante du Gobi !
    Bravo !
    Bizzzzzzzzzzzzzzzzzz
    Tonton Jean

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