Apprentissages

Ouest de l'Iran, de la frontière turque à Tabriz // mi-décembre 2017

Une semaine d'Iran, c'est pas si farsi-le!
La communication bien évidemment mais pas que. L'adaptation est difficile. D'ailleurs quand c'est difficile, on intériorise et on prend sur nous, ça donne donc envie d'écrire. ( Vous comprendrez donc pourquoi on a encore rien écrit sur la Turquie, qui nous manque un peu soit dit en passant !).
On vous livre ici quelques ressentis sans langue de bois, sur ces premiers moments en Iran, qu'il ne faut pas lire comme des idées reçues mais comme une vision brute à un instant T. Depuis cette première semaine difficile, nous avons fait de belles rencontres et comme le dit si bien le titre, nous sommes en apprentissage pour vivre quelques mois avec la culture locale ! 

*Ne pas avoir d'attentes : 
La première chose qu'on retient : quand on voyage, ne pas avoir d'attentes ! C'est beaucoup mieux se laisser surprendre et surtout ça évite les déceptions ou les remises en questions. Avant de partir, l'Iran était l'une des destinations qui nous attirait le plus. Beaucoup de personnes nous en avait dit beaucoup de bien. Et même sur la route, on nous avait assuré qu'on avait pas à avoir peur du froid puisque tout le monde nous ouvrirait sa porte. Ce n'est pas du tout que les Iraniens ne sont pas hospitaliers, au contraire. Mais ils ont leur manière de faire à eux qui n'est pas celle à laquelle la spontanéité et l'authenticité de l'est turc nous avait habitué. 
On arrive donc en Iran en se disant tout le monde va se jeter sur nous pour nous héberger, c'est pas vraiment le cas, et c'est plutôt normal (tour de notre imagination). On passe quelques nuits bien au frais !

Réveillés au petit matin par le vacarme d'une voiture à rail type far west


*Rencontres :
La première semaine, les quelques Iraniens que l'on rencontre ont quelques points communs auxquels nous ne sommes pas habitués et qui peuvent parfois nous agacer un peu. On a l'impression qu'ils recherchent le contact avec l'étranger comme pour avoir un miroir. Peu de questions et de curiosité envers notre culture et notre voyage. On se sent comme une super occaz pour eux de pratiquer leur anglais et de nous dire que l'Iran c'est super, ce qui transforme les discussions en long monologue.
Un brin de généralisation de notre côté que nous devons apprendre à contenir pour ne pas tomber dans les préjugés. Nous souhaitons laisser la chance à la prochaine rencontre mais le problème c'est que pendant cette semaine chaque rencontre vient un peu renforcer cette image, jusqu'à ce que nous faisions la rencontre d'Arézou et Akbar chez qui nous resterons quelques jours! Ouf ;)

*Le calendrier :
Les Iraniens n'utilisent ni le calendrier grégorien, ni le calendrier lunaire des musulmans, mais un calendrier à eux mis au point par un scientifique Perse basé sur le soleil. Le calendrier lunaire est utilisé pour la religion. Ici nous sommes donc en 1396. L'année débute avec le printemps et le 21 décembre est fêté avec de la pastèque ( on aura la chance d'etre à Khalkhal dans la famille d'Aboutalib pour cette fête). Dans la partie azérie, on appelle ça le Tchilé, dans le reste du pays Yalda.



*La circulation :
L'enfer. Après Rome et Istanbul, Tabriz (4eme ville de l'Iran) nous fait péter un plomb ! Notre code de la route est dépassé: ici une voiture qui sort de stationnement ne s'arrêtera pas pour laisser passer un vélo lancé. Il semblerait que le tas soit plus populaire que la file et que celui qui conduit au plus près de tout est un pilote. Traverser la rue demande une dose de Xanax, et notre ami klaxon sert de clignotant.


Vache au vent


?! On en aura tout de même vu au loin!


*Les chiffres :
Voilà nos moyens mémo techniques, de quoi s'emmêler les pinceaux
0: point
1: 1
2: 7 à l'envers ( comme dans un miroir)
3: comme le 2 arabe avec un pic sur la barre horizontale
4: p contracté avec un c
5: cœur la tête en bas
6: comme notre 7
7: V majuscule
8: 7 arabe la tête en bas, donc si vous suivez, V majuscule la tête en bas.
9: 9
Arezou et Akbar nous donne notre première leçon d'alphabet, on vous l'épargne car chaque lettre a 4 écritures possible en fonction de sa place dans le mot.

Classe de farsi avec Akbar


*Être une femme:
Difficile de faire un apprentissage de ce côté là, surtout quand l'égalité femme-homme était une de mes thématiques pro ...
Il y a cette question du voile, que le gouvernement impose dans les lieux publics mais que de nombreuses femmes continuent de porter à la maison (peut être est-ce en notre présence ?). Mais certaines féministes iraniennes vous expliqueront que le hijab est le cadet de leur soucis par rapport aux discriminations institutionnelles inhérentes à la société iranienne : âge minimum légal du mariage récemment passé de 9 à 13 ans pour les filles, témoignage d'une femme valant la moitié de celui d'un homme, droits liés au divorce, discriminations pro etc...

Il y a cette soirée à Tabriz où nous sommes invités par Shahin à se rendre chez sa grand mère et à se joindre à sa grande famille qui se réunit tous les jeudis soirs pour dîner. Shahin avait l'habitude d'accueillir des cyclistes mais suite à une probable dénonciation de ses voisins, la police a débarqué chez lui. Accueillir des étrangers est illégal, dans un pays qui se caractérise par son hospitalité ! 
Nous nous retrouvons donc à cette fête de famille entourés d'une vingtaine d'iranien.ne.s Toutes les femmes à l'exception de la mère de Shahin (l'aînée) qui a retiré totalement son voile, portent le tchador d'intérieur, pas noir mais pastel et fleuri, effet rideau garantie ! Ça fait drôle. Les hommes de la famille arrivent au compte goutte. Le premier me salue de loin, le deuxième fait le tour de salutations, j'observe, il sert la main aux femmes. Quand vient mon tour je lui tend donc la main, toutes les femmes poussent alors un hurlement, il a osé me toucher la main, je l'ai sali! C'est franchement humiliant. Le troisième me snobe, ce qui évite les cris mais n'est pas très agréable non plus. Enfin le dernier venu me tend son téléphone, je lui sers donc le téléphone plutôt que la main. 
Les femmes parlent entre elles mais parlent peu anglais, les hommes sont de leur côté et s'adressent uniquement à Alexis, ce qui en soit est aussi fatiguant. Même si je n'ai pas de tchador fleuri, je me sens terriblement pot de fleur...
Au moment de manger, ce sont bien sûr les femmes qui gèrent (mais ça c'est pas nouveau) et qui servent les hommes qui concentrent d'un côté de la nappe et moi puisque je suis invitée. Certaines mangeront dans la pièce à côté avec les enfants, celles qui ont la chance d'être sur la nappe, mangent après, une fois les hommes servis!
Vous l'aurez compris, on ne vit pas très bien cette soirée... Je me rassure, ça fait aujourd'hui un mois qu'on est en Iran et nous n'avons pas rencontré cette situation à nouveau. Je prends en revanche l'habitude de m'interposer dans les discussions pour qu'on s'adresse aussi à moi!

#tchadorfleuri : Say no to hijab

#tchadordeboxeur : effet pull autour de la taille

#tchador : y en a marre !


*Les bus:
On a l'impression d'avoir fait une boulette quand on réalise seulement au deuxième trajet que les transports en commun sont non mixtes. En fait, c'est plus subtile : une partie est réservée aux femmes, mais les femmes peuvent monter où elles le souhaitent, accompagnées ou non. Pour une fois, on peut voir ça comme un avantage : le compartiment des femmes est souvent moins rempli (sans commentaire sur la fréquentation de l'espace public par les femmes) donc plus confort et cela évite le problème universel de gestes déplacés propre aux transports en commun bondés.





*Selfies :
Scène quotidienne quand on fait du vélo. On est sur une route quelconque, une voiture s'est arrêtée sur le bas côté. À notre approche, les passagers sortent du véhicule en brandissant leur téléphone "photo photo"! On ne se sent pas d'esquiver. Sans d'autres échanges, nous prenons la pose. Nous recevons quand même un "merci" et la voiture repart. Nous avons du mal à cerner cet acte, fierté de s'afficher sur les réseaux sociaux avec des étrangers, sans rien connaître de la personne rencontrée?
Les arrivées en ville en plus d'être compliquée par la circulation si particulière sont agrémentées de nombreux 'hello', 'photo', 'my name is', 'how are you', klaxon... Bref on est parfois un peu perdu, et on se sent un peu Gérard Fagnon, la performance en moins.


On se voit d'ailleurs interviewé par la télé locale. On n'a pas réussi à récupérer l'interview mais seulement les vidéos prises depuis la voiture !



*Le ta'arof
Ce sont les règles complexes qui régissent le savoir vivre iranien. Et c'est peut être ce fameux ta'arof qu'on n'a pas encore réussi à bien appréhender. Pour nous ce ta'arof est l'exemple de multiples contradictions que nous ressentons ici. Le ta'arof consiste à permettre à quelqu'un de nous proposer une invitation, en comptant sur le fait que l'on doit la refuser au moins trois fois, ce qui lui laisse ainsi la possibilité de se rétracter s'il n'en a pas les moyens. Un peu perturbant! Ça marche aussi dans les commerces, au moment où l'on veut payer, on nous annonce que c'est gratuit pour nous, mais en insistant un tout petit peu, on nous donne le prix et on paye. Difficile donc de savoir si les propositions sont sincères ou si elles relèvent du ta'arof... De même pour nos réponses négatives, qui ne sont pas entendues en tant que telles. Nous nous retrouvons parfois "harcelés", alors que nous aimerions juste un peu de répit.
Le ta'arof est un exemple de nombreuses contradictions que nous ressentons ici, où nous avons parfois du mal à tirer le vrai du faux. Entre savoir vivre et obligation de politesse, entre sincérité et faux semblant, entre ce qui est autorisé ou non dans le cadre public ou privé, entre foi ou loi religieuse.

Nous tentons de comprendre et d'apprendre ces subtilités parfois ambiguës pour les Iraniens eux mêmes.


Vous l'aurez donc compris, c'est un début un peu déstabilisant pour nous. Nous nous sentons bien loin de notre société occidentale, et quand on regarde devant, on sait que ça ne va pas aller en s'en rapprochant ! Il s'agit de faire marcher à fond notre capacité d'adaptation, l'inconnu fait aussi partie du voyage. Peut être ne nous sommes nous pas assez préparé à découvrir l'Iran, peut être sommes nous un peu fatigués par 7 mois de voyage et de rencontres. Nous ne voulons pas tirer de conclusions hâtives, et vous partageons simplement certains questionnements qui nous traversent. Nous avons encore 2 mois pour nous laisser surprendre et faire de belles rencontres, et nous sommes bien décidés à prendre le temps qu'il faudra !
Aussi trouvons-nous un îlot de repos chez Akbar et Arezou, ce qui nous permet de recharger les batteries, gagner en patience, mieux comprendre la société qui nous entoure et démystifier le ta'arof, et se laisser apprivoiser pour la suite de notre voyage !

Akbar faisant honneur à notre soirée crêpes

Le premier iranien à pédaler avec nous sera Arezou, une iranienne : nous qui croyons que celà leur était interdit, c'est une bonne nouvelle !




PS: *les toilettes
Finit le papier rose et moelleux, on doit se faire à la douchette ! Bien mettre les chaussures dédiées et y a plus qu'à viser.

Choisi ta taille

Un comfort inespéré !

Commentaires

  1. Merci pour toutes ces anecdotes, cette belle aventure et ces belles photos !!
    Prenez bien soin de vous ;-) Bises à vous 2
    Claudette & José

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  2. Coucou à vous deux,
    Je sens poindre en filigrane une petite pointe de découragement, allez , allez , je suis sûre que vous trouverez une stratégie d'adaptation efficace pour surmonter cette difficulté comme vous nous le montrer depuis le début de votre périple !. En tout cas une chose est sûre c'est qu'une plume est née sous les traits de Gaëlle et Il ne manque plus que l'éditeur. Merci pour cette page culturelle et enrichissante ( je ne connaissais pas le Farsi ). Je pense très fort à vous et vous envoie de gros bisous pluvieux. Martine

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    1. Merci pour Gaelle, elle est flatee !
      La suite de l'Iran s'est tout de meme beaucoup mieux passe comme t'as pu le voir dans la suite des articles qui n'est pas encore terminee d'ailleurs !

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  3. Salut les amoureux, je dois féliciter Gaëlle pour ses commentaires, bon l’Iran .... pourtant je n’en avais entendu que du bien, si c’est comme chez nous il y a des coins ou les gens sont pas top. Tu dira a Alexis qu’il IRAN pas bien en photo��
    Bonne continuation
    Alain

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  4. Super la vidéo ou vous pédalez....Finalement il pleut aussi en Iran! Courage, bientôt le grand désert...
    Paps

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  5. Bravo à tous les deux pour cette impressionnante traversée du désert à la boussole.....
    Pas évident de jouer au chameau en vélo...
    Bon courage et bises enneigées de Plaimpied à vous deux.
    Lydie.

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    1. A la boussole et au telephone, heureusement que l'on avait gps, la boussole n'aurait pas suffit !

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  6. Vous avez bien pédalé depuis la reprise de vos vélos chez Alef (450 kms en 5 jours) : félicitations pour cette belle performance avec en plus la traversée du désert !
    Les mollets et les vélos étaient bien reposés après votre escapade dans le Golfe Persique !
    Bon courage pour la traversée du désert et bonne continuation pour la suite de votre périple.
    Prenez bien soin de vous et grosses bises à tous les 2.
    François

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  7. Vive le porc sur Antenne 2 :) (sic la vidéo des inconnus)! oops ce n'est pas tellement de circonstance...! Allez good luck les amis, je vois que vous avez un coup de pédale beaucoup plus fluide maintenant !
    A bientôt sur les ondes !
    Grosses bisous
    Alban

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    1. Hehe ouais ca a pas mal avance en Iran, bonne moyenne !
      Mais on a encore du chemin a faire pour prendre ta roue !

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