Itinéraire, Manifestations et Visas

Province du Gilan, Iran // mi-janvier 2018

À part pour les assidus quotidiens de l'onglet itinéraire de notre blog, difficile de comprendre quelque chose à notre tracé en Iran. Voilà quelques éclairages sur notre itinéraire et sur les choix que nous avons fait pour nos 3 mois en Iran. Munissez vous d'une carte! Et puis pour ceux que le titre n'inspire pas trop, un article avec un peu plus d'aventures est déjà dans le rails!

Alors alors pourquoi 3 mois, alors que le visa est de 30 jours? Nous partons sur 2 renouvellements de visa pour obtenir la durée maximum du visa touriste en Iran. En effet, depuis le début de notre voyage, nous avons en ligne de mire, cette fameuse route des Pamirs, qui oscille entre 3000 et 4600 m d'altitude, et relie Tadjikistan et Kirgizistan. A de telles altitudes et avec notre materiel, nous ne pouvions nous permettre d'y aller en hiver. Nous choisissons donc d'attendre le printemps en profitant du Soleil du désert iranien. Une fois de plus nous n'irons pas au plus court (la plupart des cyclistes suivent la Caspienne, ce qui permet de traverser l'Iran en un mois) et planifions une jolie boucle dans le désert. En effet, l'expérience du vide et de la solitude m'attire, et Alexis n'est pas difficile à convaincre. Voilà globalement la base de l'itinéraire prévu à vélo.
Comme nous avons 3 mois devant nous, nous décidons de broder autour de cet itinéraire, afin d'aller découvrir des endroits plus reculés en stop, bus, train ou à pied!
Nous traversons tout l'Azerbaïdjan iranien jusqu'à Khalkhal. De là c'est parti pour une première boucle Khalkhal-Teheran-Zarand-Yadz-Isfahan-Kashan-Teheran-Khalkhal en partie accompagnés par mes parents et Agathe. ( Cf. L'article "fêtes pas comme les autres") C'est la boucle culturelle classique, sauf que l'on a pas eu le temps de pousser jusqu'à Persepolis...

Alexis a quelques remords, c'est comme voir Rome sans le Colisée nous disent quelques Iraniens. De mon côté, je suis plus attirée par le golfe persique, sa température estivale et ses sites naturels surprenants. On se met donc d'accord sur un combo gagnant : lorsque sur notre itinéraire vélo nous serons au plus près de Persepolis, c'est à dire au niveau de Kashan, nous abandonnerons à nouveau nos destriers pour une boucle Kashan-Shiraz-Persepolis-ile de Qeshm-ile d'Ormuz-Bandar Abas-Kashan. Ensuite le tracé devrait être plus simple puisque le désert nous attend avec quelques axes mais pas plus, puis le temps passe et nous aurons tout juste un mois pour faire les 1500 km restants. Plus question de laisser les vélos !

Après avoir laissé mes parents à Téhéran, nous remontons vite vite à Khalkhal chercher nos vélos. Ce n'est pas qu'ils nous manquent (quoi que?), c'est surtout que nos visas de 30 jours expirent bientôt, et nos devons arriver à Rasht sur la Caspienne à temps pour les renouveler. 
Pourquoi aller faire nos visas à Rasht alors que nous étions sur Téhéran ? Depuis quelques jours des manifestations prennent de l'ampleur en Iran, ce qui est notable puisque manifester n'est pas un droit en Iran, et que les dernières manifestations remontent à 2009 soit 8 ans! Il semblerait que l'état accuse les pays européens d'influencer et de fomenter les manifestations. 
Nous savons de plusieurs sources que le bureau de l'immigration de Téhéran est sévère et tatillon, et soumis au contexte international, que la prolongation des visas touristes n'y est pas du tout systématique. Or, nous avons déjà notre visa ouzbek pour le mois de mars, et que si notre prolongation de visa est refusée, nous devrons retourner en 24h vers l'Arménie ou la Géorgie puis début Mars pendre un vol pour l'Ouzbékistan. Bref nous comptons vraiment sur cette prolongation. Nos vélos sont à Khalkhal, nous avons donc juste le temps d'aller les chercher, et de pédaler jusqu'à Rasht en bordure de Caspienne avant la péremption de votre visa de 30 jours et croiser les doigts pour l'obtenir. Ça tombe bien, on était curieux de se promener un peu du côté de la Caspienne. 
Nous quittons Aboutalib et sa famille pour de bon, franchissons le col à 2350 m qui nous ouvre les portes de la plus belle route du pays "Khalkhal-Asalem". Depuis un mois déjà on entend parler de la fameuse "jungle" ou jungal en farsi. Sans y avoir trop réfléchi, et parce que dans les contrées lointaines tout est possible, nous nous attendions à une forêt de type tropicale dans l'humidité de la Caspienne. Bon on avait pas trop réfléchi, le col approche avec des airs de royaume des glaces, et on comprend que les Iraniens utilisent le mot "jungle" pour dire tout simplement forêt ! Ça nous fait bêtement sourire, on embrasse du regard cette épaisse mer du nuage, paysage récompense après cette fraîche monté. La forêt est belle tout de même malgré son dénuement hivernal. Seulement elle est habillée de plastique en tout genre, c'est bien dommage. On finit par passer sous le nuage et sentir l'humidité nous traverser la peau. Le soir, proche d'une rivière, deux yeux jaunes nous observent, avant de partir furtivement.



Jungle...!

La mer Caspienne par 90% d'humidité

On sait pas pourquoi y'a l'electricité, malgré la bâche, nous nous réveillons trempés

Copain à vélo, papy avec volant

Des souvenirs qu'on garde des journées qui suivent sont surtout de l'humidité et de la pluie! Il faut croire que chaque pays a son chnord, le Gilan sera celui de l'Iran. Rasht a même un hôtel de ville avec un beffroi! Ici l'abondance de l'eau rend tout le monde décontracté, la vie y est un peu plus facile que dans le désert, et les mentalités devraient être moins conservatrices. Toujours ça de pris pour la prolongation de notre visa! Nous atterrissons dans l'hôtel le moins cher de notre périple jusqu'ici, 3 euros par personnes, au dessus du bazar, à 200m du bureau de l'immigration. Parfait. Toute la soirée nous entendons un technicien son qui fait des "yek,do,se" dans les micros de la scène installée sur la Grand place. 8h, nous nous rendons fébriles, au bureau des visas. Le personnel ne parle pas anglais. En 3 minutes nous nous retrouvons dans le bureau du grand chef, on serre un peu les fesses, comme des ados attendant les résultats du bac. Mais on se détend très vite : " Welcome to Rasht! Oh you are travelling by bicycle, how many days do you need to extend? 60? (on tente le gros lot pour ne pas avoir à étendre à nouveau) No problem !" ...Tout simplement ! Le chef rajoute quand même qu'il nous demande qu'une chose : vous savez en ce moment, il y a des regroupements de gens inopinés, merci de vous en tenir à bonne distance. No problem, ce sera fait.
Visa en poche, nous sortons du bureau de l'immigration, et nous retrouvons sur la grande place plus qu'animée. En appercevant dans un coin, tout un groupe de femmes en tchador brandissant des pancartes avec la photo de Khameini, nous comprenons que nous sommes au centre d'une manifestation pro-gouvernement! Oups. Et il y a mis les moyens : c'était donc ça la sono digne d'un festoche (les concerts dans la rue sont pourtant interdits), militaires égrainés, chants partisans, discours-sermons de représentants. On voit le cortège arriver mené par une horde de Mollah et de fonctionnaires. Les femmes en noir seront bien sagement en queue de cortège.
Rasht, son "beffroi", et le rassemblement pro gouvernement. On est timide pour les photos, on ne voudrait  pas être pris pour des "espions"



On achète du pain à la boulangerie du coin. Le boulanger dépité du spectacle qu'il a sous les yeux nous demande 2 Khomeinis, ( on comprend que Khomeini est représenté sur les billets de...40 centimes ) et non content de sa blague fait un signe de couper la tête. Depuis quelques jours, malgré les touristes que nous sommes, la tension est palpable. Les flics sont omniprésents dans les centres villes, internet est ralenti voire interrompu, les réseaux sociaux et messageries sont censurés.
Aboutalib, qui travaille à la mairie de Khalkhal, nous a raconté que tous les employés de la mairie ont reçu un mail du gouvernement les enjoignant de se rendre aux manifestations pro gouvernement, sans quoi perspectives d'évolution et augmentation pourront être oubliées.
Pour Tohid, notre hôte d'isfahan, il y plusieurs raisons à ces manifs : le gouvernement a publié un budget avec les montants faramineux reversés aux Mollahs et autres religieux. Puis il y a eu une crise du prix de l'essence puis une crise sur l'augmentation du prix des oeufs de 2000 sont passés à 10000. C'est à dire que le gouvernement a choisi d'augmenter les prix. Sans vraiment s'organiser des gens qui n'avaient rien à perdre ont commencé à se rassembler. Inedit depuis 2009! 
Résultats 21 morts... Manifester est interdit et les rassemblements anti-gouvernement n'ont rien des marches musicales pro gouvernement : les manifestants se font disperser sans cesse de manière violente. À Isfahan nous serons skotché devant les quantités de force de l'ordre. Peut être 5 fois le nombre de manifestants attendu. Pour s'exprimer, sans possibilité de se rassembler, des groupes détruisent l'espace public puis se dispersent avant de se faire disperser. Ducoup ça ressemble pas à grand choses les manifs à part à des gros tas de flics et de milice ultra violente en moto qui viennent aussi leur prêter main forte aux force de l'ordre, comme si c'était pas suffisant.
Depuis le taxi, à Isfahan

Nous discutons avec nos amis Iraniens que nous savons pertinemment anti gouvernement, mais nous sommes surpris de comprendre qu'aucuns ne soutiennent les manifestations. D'après Momo, il n'y a pas d'idéologie derrière ces manifs, quelles sont totalement désorganisées donc elles sont inutiles. Pour Tohid, ce n'est pas les manifestations qui feront changer les choses, ce gouvernement est arrivé par la révolution et a donc bien trop peur de se faire renverser ainsi, d'où les directives démesurées du gouvernement ; c'est plutôt avec le temps que le choses évoluent.
En tant qu'occidentaux, nous pouvons très difficilement comprendre ce que c'est de vivre sous 40 ans de dictature islamique et nous ne saisissons que par bribes l'impact sur une société entière, qui s'est tourné vers une schizophrénie pour survivre. Difficile d'entrevoir des solutions et de croire en l'avenir. En espérant que leur patience ou leur révolte porteront leurs fruits.

Pour finir sur un sujet un peu plus joyeux que nous maîtrisons mieux, revenons à notre itinéraire et ces derniers jours pluvieux. 

La boulangerie, le top quand t'as pas de plan pour la soirée
Après avoir déniché un spot bivouac en ville à Lahijan (on devient balaise!) et planté la tente, on visite notre quartier et faisons nos emplettes, passage obligé par la boulangerie. Alors que nous tchatchons avec le boulanger, arrive Mohamed, iranien de Dallas, venant se fournir pour sa soirée barbeuc. Il est hyper cool, et nous nous retrouvons rapidement dans la voiture une fois qu'il nous ont expliqué leur plan : partir dans la montagne qui surplombe la villle entre les plantations de thé, aller dans une cabane sans eau ni électricité, faire un méga barbeuc et faire une balade de nuit. Le rhum de Dallas est prévu. Quel bon plan, on rêvait d'une soirée ! On avait pas bien compris la partie balade de nuit, mais tout s'explique lorsque on aperçoit la carabine dans le sac à dos, la soirée sera avec une bande de joyeux.ses chasseur.es (éleveur.es de sangsues par dessus le marché !) tout heureux de griller le porc épic de la dernière battue.
Le bon ou le mauvais chasseur ? Avec Lahijan en toile de fond

Réveil sauvage après nuit humide
Journée 100% d'humidité et pluie. Pas au top pour velicamper. Alexis a les mains tout engourdies par l'humidité et ne peut plus se servir de ses doigts. La nuit tombe, on ne trouve pas de spot bivouac entre routes, chiens errants, sol marécageux et villages déserts. On finit par jeter la tente dans un pré en bordure d'un hameau. Au matin, la pluie s'est arrêtée, on pli tranquillement nos affaires, quand tout à coup, deux chevaux surgissent se dirigeant droit sur nous au triple galop. À 100m de nos corps tendus mais fascinés, le premier enclenche un virage à 90°, glisse dans la boue, tombe. On comprend alors avec horreur qu'ils sont en train de se battre ! Le deuxième le rattrape, le mord au garrot avec une violence inouïe, la course reprend avec coup de sabots en tout sens. Puis on les perd de vue. Etait-on bien réveillé? Vu les traces au sol, pas de doute. La nature... 20 min après, un homme et son fils en botte, cherchant les quadrupèdes bagarreurs ! Les auront-ils retrouvés entier?

Îlot de confort dans mer de boue
17h l'heure de la galère pour trouver un endroit pour camper quand on est près des villes, et que y'a de la boue. Pas de problème, on est au Gilan! Petit 4*4 propret, vitre qui se baisse, lunettes rondes et visage sympathique dans un anglais parfait "are you looking for a place to camp?" Oups, on s'est fait cramé ! Mais Alexis a le coup de cœur, et n'hésite pas une seconde et c'est tant mieux, Sina, jeune architecte téhéranais diplômé, deviendra un ami, que nous retournerons voir à Téhéran. En attendant sa maison de vacances est au top du confort à l'européenne, purée ça fait du bien!
Thé au bazar avec Sina


Gros dindons

#saynotohijab

Après avoir pu apprécier le Gilan et les Gilanais, nos bicyclettes nous emmènent... Sur l'autoroute ! L'autoroute??! Figurez-vous que pour quitter ce petit nid douillet (mais humide) du Gilan il faut franchir à nouveau le massif de l'Albroz, 2 routes en parallèle sont possibles pour rejoindre Qazvin : l'autoroute neuve ou la nationale. Ça monte, l'autoroute est interdite aux camions. Après une demi journée sur la nationale à braver camions et bennes, poussière, klaxons et dépassements effrayants car pas de bas côté, nous nous engouffrons témérairement sur l'autoroute interdite aux vélos, sous les encouragements et conseils de Hamed (qui nous a filé sa maison en déménagement pour la nuit)... Et c'est presque le pied! Un billard, une bande bien large rien que pour nous, pas de camion, et des vendeurs d'oignons qui nous offre le barbeuc! Pour remédier à la fatigue sonore, on sort le mp3 et on y va en swingant! Direction Qazvin puis Qom et Kashan, pas question d'emmener les vélos à Téhéran, nous y ferons une escapade en bus depuis Qom pour revoir Sina et récupérer notre précieux sésame Turkmen obtenu.
Bravo d'être arrivé jusque là, notre itinéraire n'a plus de secrets pour vous!
À 9000... On vous passe un coup de fil?!

Sur la nationale

Vendeur d'oignon sur l'autoroute. Heureusement qu'il ne nous en a pas fait cadeau

Casse croute

Commentaires

  1. Bonjour les aventuriers, quel bonheur de vous lire et de voir vos photos. Et les commentaires c’est TOP. Je vous souhaite une bonne continuation dans votre périple.
    Alain

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    1. Merci de nous suivre apres presqu'un an maintenant !

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  2. sympa l'article, vous êtes bien téméraires, je ne sais pas si j'aurais fait la balade de nuit moi ;-)...

    une bise et faites bien attention à vous

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    1. oh aller Nico, on sait que t'as bien faire pire, mais ca reste entre nous ;-)

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  3. Merci pour ces lignes. On n'aurait pas cru voir tant d'eau et d'humidité. Que de différence avec les paysages vus ensemble à l'est d'hispahan!
    bises
    Paps

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  4. Bravo les intrépides globe troters Alexis et Gaëlle !
    Je peine un peu à suivre vos aventures sur la carte !
    Mais c'est toujours avec gourmandise que je lis vos récits
    pleins de rebondissements et d'anecdotes hautes en couleurs
    et parfois pleines de suspense !
    Dans quelques heures, je passerai peut-être au dessus de vos têtes
    en direction de New Delhi où je visite mes amis indiens jusqu'au 2 Avril.
    Merci pour la belle carte ...d'Istambul ...reçue très récemment
    ( vos vélos vont plus vite que la poste turque ! )

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    1. Hehe oui nos cartes postales sont tout aussi en retard que nos articles, mais ils arrivent petit a petit.
      Bon retour a Paris apres ton escapade indienne !
      Bises

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  5. Coucou a vous 2 . Et bien vous voilà de vrais reporters en nous faisant partager des moments de " frayeur " au vu du nombre de policiers encadrant la manifestation, pas cool ! . Vous vivez les évènements de l'intérieur et aussi avec les autochtones, pas facile comme situation !. Merci de nous donner quelques clés de réflexion . En tout cas prenez soin de vous et prudence !. Bon courage pour la suite et bravo encore pour votre périple . Pensées . Bises à vous 2 . Martine

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    1. Nous etions finalement assez loin de ce qui se passait reellement et la repression est tellement forte que finalement les manifs sont vites arretees.
      C'est maintenant beaucoup calme en Ouzbekistan et Tadjikistan !
      Des pays qui ne sont pas vraiment dans l'actualite, mais pourtant tres chouettes !

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